La dictature verte ou la politisation de l'écologie

Introduction

J’essaye de comprendre la soudaine popularité des expressions  “dictature verte” et “khmers verts”. Elles semblent être de plus en plus courantes dans les discussions depuis les élections municipales de 2020. 

Ce que je crois comprendre, c’est qu’elles expriment une critique des “écolos” et/ou de l’écologie, aussi bien du point de vue des mesures que des personnes qui les portent.

J’ai envie de passer outre la forme (que je trouve d’assez mauvais goût) que prennent ces saillies, mais même en essayant de les interpréter de façon charitable, je peine à comprendre leur fond.

Est ce que les personnes qui les utilisent sous-entendent que les personnes visées exagèrent la gravité des enjeux écologiques ? Ils le feraient par exemple par dogmatisme ou afin d’obtenir du pouvoir.

Certains écolos en font trop ?

Si c’est le cas, je pense qu’il serait plus pertinent d’essayer d’ouvrir une discussion (qui pourrait être intéressante) sur notre niveau d’urgence. De ce que j’ai compris du consensus scientifique , il semble qu’on soit en niveau d’urgence élevé. Les dommages que nous infligeons aux écosystèmes font courir un risque existentiel à l’humanité.

Étant donné qu’il y a un consensus scientifique et beaucoup de preuves tangibles, il faut apporter des justifications à l’accusation de khmer vert. Il le faut d’autant plus qu’il est avéré que certains adoptent des postures climato-sceptiques pour des raison dogmatiques ou à des fins matérielles.

Bien sûr que certains ne sont probablement pas sincères dans leur défense de l’écologie , mais est-ce un problème si ce qu’ils disent est vrai ? Si les solutions qu’ils proposent sont pertinentes ? Je pense que les personnes les plus sincères ont tendance à se concentrer sur ce genre de préoccupations.

Notre maison brûle, mais restons calmes ?

Le deuxième cas de figure est plus dur à appréhender. Certaines personnes semblent considérer que nous faisons face à une urgence climatique tout en étant cependant opposées à la mise en place de mesures strictes. C’est pour cela qu’ils parlent au sujet de ceux qui les défendent de khmerts verts.

Ce que je crois comprendre, c’est qu’ils pensent que nous faisons face à un danger existentiel qui ne justifie pas toutefois qu’on compte sur autre chose que des mesures volontaires ou modérées.

C’est une opinion qui se défend, mais là encore , je suis curieux ! Est ce que le prix est trop cher payé pour la cause ? Ou alors , est ce que ce niveau de restriction ne peut pas être justifié, quel que soit le bénéfice ?

Si on prend l’exemple de la limitation de vitesse proposée par la Convention Citoyenne pour le Climat, on a un cas de mesure au coût limité et aux avantages considérables.Mais elle implique une restriction de liberté. La liberté de rouler (très) vite. Est ce que c’est trop cher payé ? Ou bien est ce que par principe, les antis “dictature verte” s’opposent aux mesures qui limitent leur liberté ?

C’est important qu’on le détermine pour orienter correctement la conversation.

Cette deuxième catégorie est plus intéressante. Est-ce qu’ils considèrent le code de la route comme l’expression d’une forme de dictature grise ? Est-ce qu’ils revendiquent le droit de prendre des ronds-points à l’envers ? De ne pas utiliser leurs clignotants ?

Si l’écologie est bien un enjeu vital, quelle est la différence ? Si sauver la planète ne justifie pas de faire des sacrifices, alors quelle cause en est capable ?

Des mesures injustes ?

On peut également entendre parler d’écologie punitive. Là encore, c’est dur à interpréter comme autre chose qu’un changement de sujet. Soit la mesure a un réel impact positif et dans ce cas là, on pondère ses coups et ses bénéfices, soit ce n’est pas le cas et ce n’est donc pas de l’écologie du tout. Mais en quoi est ce important que des gens se sentent punis ou pas ?

J’ai l’impression que c’est lié à une certaine vision de la justice. L’adoption d’une mesure cruciale devrait être remise en question par l’éventualité qu’elle représente une forme d’injustice.

Bien sûr, il faut éviter de reproduire des inégalités lorsque c’est possible. C’est préférable selon moi. Mais ça doit être fait en arbitrant de façon à prendre en compte les bienfaits de la mesure et les coûts pour ceux qui en seraient lésés.

Si on essaye d’éviter à tout prix les injustices, on va nécessairement au devant de problèmes bien plus graves. Si des mesures de mitigation du réchauffement climatique sont efficaces et applicables, il paraît saugrenu de les abandonner parce qu’elles coûtent plus à certains qu’à d’autres.

Et ça ne ressemble même pas à une inquiétude sincère vis-à-vis de l’injustice en général, parce que très souvent, cet argument est utilisé pour justifier de ne pas agir personnellement et beaucoup plus rarement pour alléger le fardeau des autres. Au contraire, j’ai l’impression que ce sont les mêmes personnes qui rechignent à s’intéresser à d’autres inégalités pourtant bien plus coûteuses mais concernant des groupes de personnes dont ils se sentent moins proches.

Plus concrètement, j’entends souvent dire qu’il est injuste de demander aux particuliers d’opérer des changements dans leur vie pour l’environnement alors que ce sont les entreprises et les états qui causent le plus de dégats à l’environnement.

Ce constat est tout à fait exact. Mais il justifie que les états et les entreprises fassent davantage, pas tout. Or, bien que ça soit très insuffisant, les entreprises et les états sont déjà soumis à beaucoup plus de contraintes relatives à la préservation de l’environnement que les particuliers.

De plus, les entreprises et les états ne sont pas des entités séparées de la société. Ils sont composés de particuliers et polluent avec et pour des particuliers. Aucune goutte de pétrole n’est brûlée exclusivement pour le plaisir d’un actionnaire bedonnant en haut de forme et redingote. Chaque arbre abattu l’est pour répondre directement ou indirectement à un besoin formulé par un consommateur. Chaque kilo de déchet radioactif est généré pour chauffer des maisons, remplir des frigos ou habiller des enfants.

Aucune action économique (sauf peut-être la spéculation et encore) n’est totalement isolée d’une finalité qui se matérialise très concrètement dans notre quotidien à tous.

Si tant est que c’était nécessaire, le confinement a prouvé que les usines ne tournaient pas sans consommation. Faire ses courses, c’est formuler des demandes. Davantage de papier toilette, moins de voitures thermiques, plus de recyclage, moins de viande …

C’est le marché, et c’est son règne qui provoque l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le même phénomène (entre autres choses, bien sûr) peut inverser la tendance.

C’est enrageant et probablement injuste, mais est-ce que ça en devient moins vrai ? Moins agréable à entendre ou facile à accepter, peut-être, mais on doit pouvoir surmonter ça. Surtout au vu des enjeux.

Une écologie vierge de tout positionnement politique ?

Je pense que le rejet de ce constat est lié à une autre opinion. Celle selon laquelle l’écologie devrait rester dans son coin. Soyons écolos, tant que je ne suis pas trop affecté personnellement. Si on transgresse cette règle ? L’écologie devient extrémiste, punitive voire pire encore, politique.

Il ne faudrait surtout pas politiser l’écologie afin de préserver sa pureté. Mais par définition, si on est dans la pureté, on est dans la théorie et pas dans le concret. Les concepts ne restent purs que tant qu’ils ne sont pas appliqués. Appliquer, c’est adapter, faire des compromis, faire des arbitrages. Faire de la politique en somme.

Bien sûr que l’écologie est politique. C’est important pour tout le monde et ça ne peut pas être géré exclusivement à l’échelle individuelle. Il faut fournir un cadre.

Certains disent que l’écologie ne devrait pas être politisée parce que tout le monde est pour préserver la planète et que nous profitons tous d’une planète habitable.

Supposons qu’en effet, les sujets universels ne doivent pas être politisés. je ne suis pas d’accord, mais j’en reparlerai.

Il y a des gens pour qui la préservation de l’environnement n’est pas un sujet important ou intéressant. Il y a même un mouvement mondial climatosceptique. Même parmi les personnes les plus sensibles au sujet, toutes ne le sont pas également. Parmi celles qui ont une sensibilité comparable, toutes ne préconisent pas les mêmes arbitrages. Certains disent qu’on doit fermer le robinet des émissions à tout prix, d’autres qu’on peut découpler croissance économique et pression sur les ressources naturelles, d’autres encore pensent qu’on doit trouver un compromis entre innovation et sobriété. Toutes ces opinions et préférences ont des implications qui sont tout sauf apolitiques.

Donc oui, l’écologie est bien un sujet politique, même si l’environnement est un bien commun nécessaire à tous. Bien sûr, le sujet peut être récupéré et instrumentalisé. Néanmoins, c’est le cas de tous les thèmes et la solution n’est pas de sacraliser le sujet ou de l’écarter, mais plutôt d’être rigoureux.